Cinéma : Place publique, politiquement incorrect


Le cinquième long métrage d’Agnès Jaoui est en salle ! Et il vaut le détour. Une affiche quatre étoiles, un cynisme à faire sourire, Place publique est à savourer sans modération dans les salles obscures.

Castro, autrefois star du petit écran, est à présent un animateur sur le déclin. Aujourd’hui, son  chauffeur, Manu, le conduit à la pendaison de crémaillère de sa productrice et amie de longue  date, Nathalie, qui a emménagé dans une belle maison près de Paris. Hélène, sœur de Nathalie et  ex-femme  de  Castro,  est  elle  aussi  invitée.  Quand  ils  étaient  jeunes,  ils  partageaient  les mêmes idéaux mais le succès a converti Castro au cynisme tandis qu’Hélène est restée fidèle à ses convictions. Leur fille, Nina, qui a écrit un livre librement inspiré de la vie de ses parents, se joint à eux. Alors  que  Castro  assiste,  impuissant,  à  la  chute  inexorable  de  son  audimat,  Hélène  tente désespérément d’imposer dans son émission une réfugiée afghane. Pendant ce temps, la fête bat son plein…

 Imaginez une place, au cœur d’une ville, et vous aurez un échantillon de sa population. La Place publique d’Agnès Jaoui ne déroge pas à la règle et réunit des personnages aussi différents qu’Hélène, Castro, Nina, Mister V, Delavenne, Nathalie, Pavel, mais aussi des adolescents, des artistes, des paysans. Ces portraits croisés sont subtilement présentés par la réalisatrice, qui n’oublie pas de montrer ce qui les oppose, leurs origines : le paysan se sent rejeté, incompris par ces mondains parisiens, qui eux, à leur tour, sont pointés du doigt par les provinciaux. Pour raconter ces histoires, la réalisatrice a choisi de tourner dans un décor unique, avec une unité de temps, et un paradoxe : les personnages évoluent au cours d’une pendaison de crémaillère, un lieu privé, devenu une place publique, pour l’occasion. Cette réunion amicale, professionnelle et familiale permet à Agnès Jaoui d’aborder de nombreux sujets de société, du culte de l’audience aux réseaux sociaux, en passant par les réfugiés et la célébrité usurpée des jeunes youtubeurs. Une critique acerbe d’une société en souffrance. La cinéaste évoque également la vieillesse, le temps qui passe, les convictions, la maturité. Les idéaux des vingt ans ont évolué. Elle part d’une version officielle (la vieillesse, c’est chouette) et dérive jusqu’à la réalité des choses. Le premier discours est ébranlé au fur et à mesure qu’avance la soirée. Parce que oui, en vieillissant, chacun change, à la fois physiquement et psychologiquement. Ces écarts de points de vue sont servis par des dialogues efficaces. Ils soulignent bien les incompréhensions réciproques entre les bobos parisiens et les paysans où les dimanches n’existent pas, ainsi que les regrets et les différentes rancœurs que peuvent avoir les personnages les uns envers les autres. Certains sujets auraient mérité d’être approfondis, mais la palette est si vaste qu’une heure et demie n’aurait pas suffi. Enfin, Place publique est une ode à la tendresse, à l’amour, amour qui se veut sans limites, sans préjugés, sans frontières.

Monté comme un film policier, le long métrage est un flash-back, qui met en lumière les différentes étapes qu’un homme traverse avant d’en arriver aux extrêmes. Cette tension narrative sert le film, et ce, jusqu’à la fin, ni triste, ni drôle, mais ouverte vers la vie, puisque celle-ci ne se résume pas à une soirée entre amis. Une soirée sobrement mise en scène, avec une alternance entre les différents portraits croqués par les scénaristes, tout en gardant le fête en ligne de mire et ses différents espaces, tels que le kiosque musical, la piscine, le jardin, les cuisines, la maison, le karaoké. a caméra passe d’un personnage à l’autre, danse avec les invités. Cela fait de Place publique un tableau général d’un milieu parfois déconnecté du réel, mais où la musique est omniprésente. Elle en serait presque un personnage principal, finement choisie par la réalisatrice. D’ailleurs, ceux qui connaissent le travail d’Agnès Jaoui reconnaîtront sa voix sur certains morceaux et El Quintet Oficial, qu’elle a aimé filmé, de son propre aveu. Sans fausses notes également, la distribution, en harmonie avec les personnages, comme si les rôles avaient été écrits pour eux. Des rôles principaux aux figurants, rien n’a été laissé au hasard, et le résultat est excellent.

Le duo Agnès Jaoui/Jean-Pierre Bacri fonctionne à merveille, et Place publique est une réussite cinématographique. Le film pousse à se poser des questions, ouvre des débats. À voir pour se changer les idées et réfléchir sur ce que devient la société actuelle !

Place publique, un film d’Agnès Jaoui • Avec Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Léa Drucker, Kévin Azaïs, Nina Meurisse, Sarah Suco, Helena Noguerra, Miglen Mirtchev, Olivier Broche, Yvick Letexier, Frédéric Pierrot, Éric Viellard … • 1h38 • Sortie le 18 avril 2018.

Place publique

9.5

Réalisation

9.5/10

Scénario

9.0/10

Dialogues

9.5/10

Interprétation

10.0/10

Pros

  • D'excellents acteurs
  • Un bon scénario
  • Une superbe bande-originale
  • Une mise en scène réussie

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