Cinéma : La fille de Brest, un bras de fer avec les groupes pharmaceutiques 1


Après le succès de La tête haute en 2015 (664 699 entrées), Emmanuelle Bercot signe un retour poignant avec La fille de Brest, en salles depuis le 23 novembre. A cette occasion, elle retrouve Benoît Magimel, et dirige pour la première fois Sidse Babett Knudsen. Un film coup de poing sur fond de scandale sanitaire.

Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, découvre l’existence d’un lien entre certaines valvulopathies* et le Médiator®. Dès lors, elle tire le signale d’alarme. Débute une longue bataille… D’abord traitée de menteuse et ignorée, Irène Frachon devient un lanceur d’alerte, se fait entendre et parvient au triomphe de la vérité.

Emmanuelle Bercot adapte le témoignage d’Irène Frachon, avec brio, et quelques libertés. Elle retrace, en tout juste 2h10 et sans longueur, le combat du lanceur d’alerte sur le Médiator®. Si elle a pris la liberté de changer la nationalité du médecin (l’actrice Sidse Babett Knudsen est danoise, tandis que la vraie Irène Frachon est française), elle a conservé la chronologie de l’affaire. La réalisatrice montre la difficulté de faire retirer un médicament du marché : intimidations, menaces, suffisance des représentants des laboratoires envers les médecins brestois, tout est bon afin d’étouffer la vérité. Au nom de l’argent, des bénéfices sur le dos des patients, les grands groupes n’hésitent pas à discréditer les intervenants du scandale. Ils se mentent à eux-mêmes afin de se donner bonne conscience. Le long métrage de la cinéaste décrit avec précisions la première marche du combat, qui a abouti aux lois du 29 juillet (relative à l’indemnisation des victimes du Médiator®) et du 29 décembre 2011 (relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé).

Devant la caméra, Sidse Babett Knudsen et Benoît Magimel excellent. Ils servent sans fausses notes ce témoignage fort. Ils sont entourés de Charlotte Laemmel, Lara Neumann, Isabelle de Hertogh, Philippe Uchan, Patrick Ligardes, Gustave Kervern, Olivier Pasquier et Éric Toledano, entre autres. Ces derniers restent malheureusement en retrait, et n’ont aucune épaisseur. Ils n’existeraient pas, le film serait quasi identique à celui présenté. Ils sont les oubliés de cette œuvre. Dommage… Malgré ce bémol, les acteurs sont justes. Le film apparaît comme une sorte de docu-fiction, un reportage, avec quelques inexactitudes, telles que le nom du ministère où se rend Irène Frachon (en 2011, ce n’était pas le Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, mais le Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé). Les dialogues, quant à eux, sont très documentés, peut-être un peu trop : un public non averti (ne maitrisant pas les termes médicaux, par exemple) peut rencontrer des difficultés à comprendre la situation du premier coup. Par chance, la complexité de l’affaire est compensée par fait que la majorité du public connaît les grandes lignes du scandale.

Tourné en décors réels et au cœur de la Bretagne sauvage, La fille de Brest frappe fort et remet sur le devant de la scène ce scandale du Médiator® parfois laissé de côté. La réalisation d’Emmanuelle Bercot rend hommage à la bataille d’Irène Frachon, dont le courage a permis d’éviter de nombreuses morts certaines.

La fille de Brest, un film d’Emmanuelle Bercot, adapté du témoignage Médiator 150 mg – Combien de morts ? d’Irène Frachon (disponible aux Éditions Dialogues) • Avec Sidse Babett Knudsen, Benoît Magimel, Charlotte Laemmel, Lara Neumann, Isabelle de Hertogh, Philippe Uchan, Patrick Ligardes, Gustave Kervern, Olivier Pasquier, Éric Toledano… • 2h07 • Avertissement (certaines scènes sont susceptibles d’heurter la sensibilité des spectateurs) • Sortie le 23 novembre 2016.

* La valvulopathie est une atteinte d’une valvule du cœur (membrane qui dirige les liquides dans un sens donné et les empêche de refluer).

L’affaire du Médiator®

Le Médiator®, commercialisé par les laboratoires Servier, arrive sur le marché français en 1976, et est prescrit en cas de diabète de type 2 (non insulinodépendant). Le principe actif est le benfluorex. Ce dernier est interdit dans les préparations pharmaceutiques dès 1998, mais le Médiator® reste commercialisé, et son autorisation de mise sur le marché (AMM) est renouvelée en 2007. En 2009, Irène Frachon fait part de ses premières inquiétudes. Malgré les alertes, deux génériques obtiennent leur AMM en octobre 2009. En novembre de la même année, toutes les AMM du benfluorex sont suspendues. Deux semaines après cette suspension, l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) suspend le Médiator® et ses deux génériques. Le retrait de la molécule dans les pharmacies intervient quelques jours plus tard. Alors que le laboratoire Servier nie les liens entre les valvulopathies et le benfluorex, Irène Frachon publie Médiator 150 mg – Combien de morts ? Le sous-titre est dans un premier temps censuré avant d’être autorisé par la Cour d’appel de Rennes. Les langues se délient, mais Servier reste dans le déni. Fin novembre 2010, le groupe renie toutes les accusations. L’État prend alors ses responsabilités, et promulgue, le 29 juillet 2011, une loi relative à l’indemnisation des victimes du benfluorex, modifiant ainsi le Code de la santé publique. En 2012, une étude, menée par Servier, prouve que le laboratoire connaissait les risques accrus de valvulopathies faisant suite à la prise de benfluorex. Depuis le scandale sanitaire, plus de 6000 dossiers ont été déposés à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, mais les victimes doivent prouver qu’elles ne fraudent pas. A ce jour, aucune victime du Médiator® n’a été indemnisée.

La fille de Brest

8.6

Réalisation

9.0/10

Scénario

9.5/10

Dialogues

6.5/10

Interprétation

9.5/10

Pros

  • Une adaptation réussie
  • Des acteurs excellents
  • Une juste mise en lumière du scandale sanitaire
  • La Bretagne sauvage

Cons

  • Des termes techniques

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Commentaire sur “Cinéma : La fille de Brest, un bras de fer avec les groupes pharmaceutiques

  • Vega

    C’est fou comme l’argent régit nos sociétés… Un médicament ne doit pas tuer, mais soigner. Alors bravo à Irène Frachon d’avoir lutté contre les laboratoires !